WHITESNAKE Saints & Sinners

Ce Saints & Sinners porte bien son nom tant on le sent swinguer entre deux envies, entre deux ères.

Nous sommes en 1982 et le hard rock commence à riffer de plus en plus fort et de façon plus directe. La vague NWOBHM montre ses médiators au portillon, tout comme les premières ceintures cloutées. Les SAXON, DEF LEPPARD et autres formations allemandes comme ACCEPT, commencent à lever haut les poings. COVERDALE s’en fout encore, car lui, ce qui lui importe c’est de soulever haut les cœurs.

Toutefois, pour ce cinquième album, ce malin sent le vent tourner mais il hésite encore à changer drastiquement les choses, du moins d’un point de vue artistique. Il le fera en 1984 avec Slide It In, puis encore plus fortement en 1987. Ici, il se contente de laisser tomber sa cravate british classieuse bluesy pour un look plus hard rockeur. Et invite ses partenaires à jouer plus rudement.

L’entrée en matière avec ce riff de Young Blood l’atteste. Quel riff ! Quel son ! L’époque est au durcissement, alors le Serpent va durcir. (hum!) Mais durcir quand on n’a pas l’habitude de porter une ceinture cloutée, cela peut faire mal au fesses quand on s’assied. Alors Mister DAVE porte ses fesses entre deux chaises. C’est moins douloureux que de les poser dessus et cela soulage aussi son public fidèle boogie-bluesy qui le soutient depuis son départ de DEEP PURPLE. On a donc un riff bien acide, bien hard rock mais un refrain aux choeurs très boogie, bon enfant, quand un ACCEPT les aurait balancés de façon plus guerrière, plus militaire. Clairement, ce titre évoque les deux époques, celle qui est en train de mourir et celle qui arrive à grand train. Rough An’ Ready suit cette logique et aurait été un hymne, si mixé par ACCEPT.

Si le trouble artistique se devine, c’est aussi peut-être qu’au préalable, le trouble business est apparu avant l’enregistrement. En effet, Micky MOODY voyant peu de livre sterling tomber dans ses poches, découvre que le groupe est déficitaire de 200.000£. Avec six disques d’Or obtenus, éberlué à juste titre, le guitariste des premiers jours demande alors des explications, puis démissionne, tout comme les autres, à l’exception de Jon Lord, après que COVERDALE leur ait stipulé que le groupe va faire une pause et les invite ainsi à partir. Par ricochet, inquiet de cette situation financière, COVERDALE virera le pourtant historique manager de l’époque Pourpre, John COLETTA et mettra en pause le groupe, pour au final rappeler les troupes quelques mois plus tard pour finir d’enregistrer, avec les démissionnaires inclus. Si retour, alors c’est qu’arrangements il y a du avoir. Mais MOODY garde encore griefs contre COVERDALE ; MARSDEN et MURRAY semblent avoir été fataliste !? On ne saura pas réellement ce qu’il en était niveau flouze donc mais on reste encore dans le blues.

Docteur DAVE se sent perdu et se met à ”pleurer” sur la bluesy et intense ballade Crying In The Rain. (Pleurer sous la pluie). Puis Mister COV’ réagit avec fierté par une autre bluesy ballade, celle-ci plus rock, plus combative, Here I Go Again (”Me voilà à nouveau” même si il débute la chanson par une hésitation ”Je ne sais pas où je vais” suivi par une réaction de survie ”mais je sais d’où je viens …” : cela situe bien le flottement du moment).  Deux classiques intemporels quelques que soient les modes : on est un grand ou on ne l’est pas!

Tout le reste sont des boogie-blues qui envoient la sauce avec délectation (le très LITTLE CHARLES, Bloody Luxury). C’est du grand WHITESNAKE de l’époque qui rassure sa fan-base d’alors, tout en s’interrogeant si il pourra séduire la nouvelle génération de fans. Toutefois, l’ensemble sonne linéaire, on est loin de l’exquise variation des ambiances de l’album précédent.

Jon LORD a beau se démener avec de délicieux solos, tantôt piano (Rock N’Roll Angels), tantôt orgue (Love an’Affection, Dancing Girls) et au final, un LORD qui n’aura jamais eu autant de présence dans WHITESNAKE que sur cet album, on sent toutefois, avec le recul d’aujourd’hui, la fin d’une époque. Micky MOODY reconnaitra que  hormis les tensions liées au business, les membres étaient épuisés par ces années passées et avaient tous plus ou moins des envies de projets solos.

Malgré cela, les fans de la première heure dont je suis, seront ravis par cet album où le moindre boogie ”banal”, est magnifié par le talent de ses interprètes. Neil MURRAY est vraiment un bassiste hors pair.

Néanmoins, en écoutant ces Saints et ces Pêcheurs en 2020, paradoxalement je l’écoute en mode nostalgie mais pas vraiment en mode actuel, contrairement à ses prédécesseurs. L’enchainement des deux ballades au milieu de boogies rock au refrains parfois quelques peu répétitifs et dont un dispensable Love an’Affection, sorte de Breakdown bis, n’aident pas non plus à varier les ambiances. Ce serpent manque d’un truc, d’une flûte, pour prendre la bonne direction ? Peut-être que le pourtant talentueux, Bernie MARSDEN est trop bluesy pour ce boogie-là et pour les intentions hard rock naissantes, bien qu’excellent, notamment sur Saints & Sinners. Les solos sont bons, mais ils ne collent pas à l’époque et ne pulsent pas au final les compositions, comme essaie de le faire son acolyte à l’Hammond qui lui vole la vedette. C’est l’album qui ressemble le plus au PURPLE des débuts, davantage bluesy et rock n’roll, celui notamment de Who Do We Think We Are voire de Stormbringer pour ses titres les plus boogie ou groovy (Dancing Girls).

Or ressembler à PURPLE, cela ne plait pas trop au patron. Ajouté à cela, cette hésitation de changer de direction musicale et des enchainements de rock n’ roll qui finissent par essouffler aussi bons soient-ils, amèneront le boss à se plonger dans une réflexion sur le futur du groupe.

Docteur Dave, principal compositeur – on a tendance à l’occulter – sent que le duo PAICE-LORD aussi génial soit-il, le maintient dans le passé. Il va alors trouver une première solution en proposant deux versions de l’album suivant, Slide It In : une version bluesy avec le line-up actuel consacrée au marché UK, son marché d’alors, et une autre plus hard avec un autre line-up, à destination du marché US, dont Cozy POWELL et avec notamment un jeune fougueux au talent fou à la guitare, John SYKES. Sa version live, éblouissante du solo de Crying In The Rain, ne devrait pas contredire l’hypothèse suivante.

Je me demande maintenant si ce n’est pas ce qu’aurait du faire COVERDALE aussi pour cet album : proposer deux mix différents, tant par moment, la guitare incisive et plus VAN HALENienne de SYKES, collerait mieux à l’ère du temps, que celle des MARSDEN ou GALLEY !? J’aurai bien aimé d’ailleurs voir inclure Young Blood dans la compilations de titres rock remixés, le Rock Album 2020, pour entendre ce qu’aurait donné une nouvelle version avec des choeurs plus hard.

Quoiqu’il en soit, malgré ses hésitations et même si il est à mon sens l’album le moins inspiré de la période 1978-83, on ne boude pas son plaisir à l’écoute de ce boogie blues racé, de ses deux classic ballades et cette voix exceptionnelle. Quand on a du talent, peu importe l’époque ou les compositions interprétées.

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” Super chronique ! ;)” Hervé Derwa

– Merci beaucoup (Franck AndFurious)

” Vinyle, cd, j’adore cet album, culte pour moi avec ses trois membres de Purple.” Philou Sargeni
” Pour moi l’un des meilleurs, malgré sa réputation désastreuse. Je le préfère largement à son prédécesseur Come And Get It, et son successeur Slide It In.”  Hubert Allusson

 

Saints

Face 1

1. Young Blood (David Coverdale, Bernie Marsden)

2. Rough an’ Ready (Coverdale, Micky Moody)

3. Bloody Luxury (Coverdale)

4. Victim of Love (Coverdale)

5. Crying in the Rain (Coverdale)

Face 2

6. Here I Go Again (Coverdale, Marsden)

7. Love an’ Affection (Coverdale, Moody)

8. Rock an’ Roll Angels (Coverdale, Moody)

9. Dancing Girls (Coverdale)

10. Saints an’ Sinners (Coverdale, Moody, Marsden, Neil Murray, Jon Lord, Ian Paice)

remasterisé 2007 + bonus

11. Young Blood   monitor mix/early vocals

12. Saints an’ Sinners   monitor mix/early vocals

13. Soul Survivor   unfinished, unreleased song (Coverdale, Moody, Marsden)

Pêcheurs

David Coverdale – chant

Ian Paice – batterie

Jon Lord – claviers

Neil Murray – basse

Micky Moody – guitare et chœurs

Bernie Marsden – guitare

Mel Galley – chœurs

Seront recrutés en suivant : Cozy Powell, Mel Galley et Colin Hodgkinson, le début de la valse des musiciens.  La photo où Ian Paice pointe le nom du groupe apposé sur la veste, apparaît alors comme un message subliminal : ”Whitesnake, c’est Coverdale ! ”

Production Martin Birch

Label  Sunburst Records  //  Amazon CD / CD 2007 / LP / K7

Sortie  20 novembre 1982

Retour sur les chroniques de Whitesnake

Album en écoute ci-après